Évolution
Éditorial

Évolution

Quand on passe son temps à parler de gastronomie et de vins, il peut paraître insolite, voire ironique de parler de révolution de palais. Car, de même qu’il est réducteur de confiner le goût au simple palais – nos sens olfactifs jouent un rôle égal sinon supérieur -, il serait profondément ennuyeux pour les esprits orgiaques que nous sommes de ressasser tout le temps les mêmes histoires. Jouons-nous notre rôle de prescripteurs de bonnes choses si notre travail consiste uniquement à énumérer la longue litanie des ouvertures de restaurants ou les transferts de chefs d’une casserole à une autre ? Si tout ce que nous savons faire, c’est décerner des médailles en chocolat pour prouver notre (f)utilité, sans même garantir que le taux de cacao soit suffisant ? Si compter le nombre de bulles dans une jéroboam de champagne est notre seule ambition ?

Non, le bégaiement intellectuel, laissons-le aux besogneux qui ne savent parler ou écrire que pour et sur eux-mêmes, leur petit microcosme, leurs petites rancunes et leur nombril dissimulé sous un gras malveillant, que ce soit sous forme d’articles ou de livres, sur papier ou sur un écran. The World is Not Enough, titrait un vieux James Bond. Manger is not enough. Drink is not enough. Nous ne sommes pas enough. The world est grand et the bocal is chiant. C’est aussi pour cela, par exemple, que nous vous causons plus fréquemment d’hôtels depuis quelques mois, ces cousins indispensables de nos tables préférées. C’est ainsi que nous nous asseyons plus fréquemment au comptoir des bars à cocktails, car c’est dans des hôtels qu’on a longtemps trouvé les meilleurs. Et bien sûr, il y a le souci du détail et des contenants avec les arts de la table, notre dernière lubie.

Tout ça pour vous dire que nous nous efforçons de garder l’esprit ouvert et de nous remettre en question en permanence. Et si nous exprimons une opinion, eh bien qu’elle soit argumentée et non uniquement destinée à provoquer l’inconfort et le remous des algorithmes. A force de se regarder le nombril, celui-ci finit par paraître immense, or nous ne sommes pas des Shaddocks.