Nespresso… non mais alu, quoi
Éditorial

Nespresso… non mais alu, quoi

C’est fait : je me suis débarrassé de ma machine Nespresso, et j’en ai parlé. L’étonnement fut au rendez-vous à la vue des premières réactions sur les réseaux sociaux. Comment un produit de consommation courante peut-il devenir l’objet d’un débat passionné et tentaculaire, alors que les faits sont indiscutables. Les chiffres sont têtus, ai-je l’habitude de dire pour couper court aux injonctions diverses, souvent fondées sur un empirique magnifié par le nombrilisme propre à Internet.

Cas d’école

Pour ne rien vous cacher, ces capsules de café m’ont intéressé dès la première heure. Travaillant dans la publicité et le marketing digital, j’ai ainsi pu observer le phénomène depuis sa naissance, au début des années 2000, avec des innovations significatives alors telle que la commande en ligne de capsule et sa livraison illico presto. Un truc hallucinant à l’époque. Les considérations écologiques étaient encore loin, et la frénésie de consommation et la soif d’innovation bien plus grandes : nous étions à l’orée d’un nouveau monde. Puis, ce fut l’éclatement de la bulle et du « ouèb ». Pour autant, ce ne fut pas la fin des aventures de Nespresso qui, en « pivotant » sa stratégie et en revêtant les codes des marques de luxe, connut un succès fulgurant. Peu versé dans l’exégèse et dans la précision historique, je vous la fais volontairement courte. Toujours est-il qu’à partir de 2005, la petite machine à capsules trônait non plus dans la cuisine comme une vulgaire commodité, mais dans la salle à manger, toujours à portée de main, tel un symbole de ma coolitude cosmopolite connectée et top-of-the-hip. Volluto, Cosi ou Ristretto… autant de nouvelles manières de faire valoir son hospitalité, et peu importe le prix.

force est de constater que ce produit améliorait grandement le quotidien, en offrant un café aussi régulier que facile.

Mise à niveau

En effet, s’il est impossible de comparer le résultat d’une Nespresso à celui obtenu avec une authentique machine à espresso italienne (de celles qui mettent 20mn à chauffer et nécessitent un BEP hôtellerie et ingénierie aérospatiale), force est de constater que ce produit améliorait grandement le quotidien, en offrant un café aussi régulier que facile.

Les restaurateurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et adoptaient sans sourciller un concept qui leur simplifiait considérablement la vie. Je suis aujourd’hui persuadé que par sa simplicité, Nespresso a grandement œuvré pour l’amélioration de la qualité du café en France et ailleurs, en relevant des standards autrefois médiocres. Pour l’anecdote, car peut-être ne le saviez-vous pas, un grand nombre de restaurants doivent leur existence à des « brasseurs » qui participent au financement des projets, tout en imposant leur catalogue aux achats : sodas, eaux, vins et bien sûr… cafés. Tant et si bien que rares étaient les restaurateurs à faire la fine bouche à propos d’un produit qui n’était qu’une commodité de fin de repas.

Combien de capsules d’aluminium ai-je englouti en 15 ans ? Je n’en ai aucune idée, mais probablement autour de 10 000… sachant que le contenant est peu ou pas du tout recyclé, sachant que le kilo de café revient à 60€ le kilo (soit trois fois plus cher que mon café actuel). Réussite économique oblige, la marque alimente tous les fantasmes qui vont du complotisme au mensonge éhonté, vous pourrez trouver un décryptage assez complet ici. Pour ma part, hormis l’empreinte écologique et quelques intox que j’ai pris pour argent comptant, cela m’était presqu’égal.

Mais ma machine a rendu l’âme il y a quelques semaines. Qu’était-ce, à mon humble échelle, si ce n’est l’opportunité de changer un habitus de consommation par rapport à un produit qui tendait de plus en plus vers le « premiocre » ? mais à peine avais-je partagé sur Facebook mes considérations sur l’obsolescence de ce type d’appareils en plastique que la discussion se fît houleuse. Je fus courtoisement contacté pour un remplacement gracieux (que je refusai). Puis, bien plus tard, me rendant compte qu’il me restait des capsules, je les proposai à mes amis sur Facebook. Rebelote. Débat, appel sur mon portable, invitation à participer à un petit-déjeuner avec Arnaud Deschamps, le directeur général de Nespresso… Arrêtez tout, les mecs. Je respecte infiniment le travail de chacun, nous collaborons régulièrement dans la joie et la bonne humeur, mais là, c’est personnel.

c’est le produit d’une vision caduque du monde.

Game over

Simple citoyen, j’ai pris une décision en mon âme et conscience, et je ne reviendrai pas dessus (sauf si vous me proposez la main de Jessica Chastain). Nespresso a fait son chemin, et peut-être son temps. C’est un succès économique admirable et planétaire, un cas d’école marketing et publicitaire, mais un modèle économique (donc une petite histoire) qui va à contre-courant de l’Histoire, la grande. Celle avec une capitale. En outre, c’est le produit d’une vision caduque du monde. Quelque part, je suis persuadé que c’est le même sort qui attend toutes les marques d’eau dont le véritable métier est de fabriquer des bouteilles en plastique, en privatisant un bien public. Que ce soit Badoit, San Pellegrino ou Nespresso, ces entreprises auront beau organiser des festivals gastronomiques, se mettre au commerce équitable, ou créer des centres de recyclage (qui auront pour unique but de minimiser des maux dont ils sont eux-mêmes la cause), il leur sera de plus en plus difficile de renier la véritable nature de leur activité.

Vous trouverez difficilement en moi un chantre de l’altermondialisme ou du militantisme écologique, bien au contraire. Libéral assumé mais raisonné, je sais pourtant que nous vivons en 2019, un paradigme très différent de celui de 2001. Tempus fugit memento mori.