La Mort du Petit Commerce
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La Mort du Petit Commerce

Une fois n’est pas coutume, Orgyness donne la parole à Maud Zilnyk, co-fondatrice de l’Epicerie Générale à Paris, chantre du produit français bio de qualité dont nous avions déjà parlé, notamment pour son fameux jambon-beurre. Au-delà des problématiques gustatives, Maud évoque avec nous les difficultés d’entreprendre en 2016, entre pression fiscale et charges sociales excessives sur fond de morosité conjoncturelle, alors que la demande est là, plus forte que jamais.

Quelle est la situation actuelle de l’Epicerie Générale ?

En 2016, notre petite entreprise a stabilisé son chiffre d’affaire après 5 années de croissance continue, soit 100% d’augmentation de chiffre d’affaire pendant les 3 premières années, puis 50% durant les 2 dernières. Malheureusement, le chiffre d’affaire n’est que le reflet de l’augmentation de la fréquentation de nos magasins, et non de nos marges.
Plus de fréquentation veut dire plus de salariés pour servir les clients, donc plus de charges à supporter. Aujourd’hui, notre entreprise est pénalisée par la masse salariale et les frais fixes. Les fins de mois sont difficiles, même si on finit par être rentable. Les charges des PME sont bien trop lourdes alors que nos marges sont extrêmement faibles.

Le marché du bio en France, et en particulier à Paris, est-il un marché de luxe, de niche, ou a-t-il a vocation à s’intégrer à la grande distribution ?

Le bio n’est aujourd’hui plus un marché de niche ou de luxe, ce sont les épiceries vegan qui sont sur un marché de niche ! Les épiceries bio se sont sacrément multipliées ces cinq dernières années. La notion de luxe est toute relative puisqu’on est affublé de cette étiquette dès lors qu’on accorde un peu d’importance à la décoration et au merchandising. Mais ce n’est qu’une impression du fait que nous avons fait le choix de mettre nos produits dans un bel écrin, et nous sommes donc considérés comme une épicerie de luxe, alors que nos graines de chia par exemple sont les moins chères de tout Paris.

Quelle est votre cible, et est-elle au rendez-vous ?

Notre cible est au rendez-vous, ce n’est pas le problème ! Certains de nos clients font jusqu’à une heure de transport pour venir chez nous. Notre problème est que nous avons créé un commerce qui nécessite beaucoup de salariés, car nous avons très peu de libre-service dans la partie épicerie. Notre volonté était de remettre de l’humanité et de la proximité, et ainsi proposer une offre de déjeuner ultra-fraîche avec des sandwichs faits minute. Aujourd’hui, tous les supermarchés ont les 3/4 de leurs rayons en libre-service, et remplacent l’humain par des caisses automatiques, afin de réduire ces charges. Ca finira par se généraliser, mais au détriment de milliers d’emplois.

Les marges sont faibles selon vous, mais les producteurs bio aujourd’hui sont-ils structurés pour distribuer ?

Ce n’est pas conjoncturel, car dans l’alimentaire, les marges ont toujours été très faibles (j’entends l’alimentaire hors restauration), et les producteurs sont de mieux en mieux organisés : il est bien plus facile de travailler avec des producteurs bio maintenant qu’il y a même que 5 ans, c’est fou !

Vous dites que les charges sont trop lourdes, mais ne les aviez-vous pas prises en compte dans votre Business Plan ?

Certaines non, comme les indemnités de départ d’un salarié par exemple. Dans ce secteur, il y a un gros turnover du personnel, et les indemnités de départ des CDD sont souvent lourdes à supporter pour des petites entreprises. Nous n’avons pas non plus pris en compte les participations à la formation, les taxes de la direction de l’urbanisme par exemple, et encore moins l’obsolescence programmé du matériel. Nos boutiques nécessitent beaucoup de matériel technique qui est malheureusement souvent de très mauvaise qualité.

Pour sauvegarder votre entreprise, vous avez lancé un Pot Commun (du crowdfunding), est-ce un geste symbolique ou une initiative désespérée ?

C’est avant tout pour alerter les futurs entrepreneurs, et les français de manière générale ! Notre gouvernement tue dans l’œuf toutes les belles initiatives, en les assommant de charges. On nous demande sans cesse de faire mieux (acheter français, moins polluer…), mais tout nous pousse à faire moins bien car les produits français sont plus chers… ainsi utiliser des barquettes en plastique ultra-polluant coûte bien moins cher que d’embaucher quelqu’un.

Quel serait le modèle idéal vertueux à vos yeux ?

Une entreprise peut marcher aujourd’hui si elle embauche principalement des auto-entrepreneurs et des stagiaires. Finalement, je trouve pas mal le statut d’auto-entrepreneur, car il responsabilise aussi bien les employés que les employeurs : les premiers comprennent mieux les responsabilités qui pèsent sur les seconds. Il faudrait que le commerce retrouve le modèle le plus vertueux des Halles, et je parle des vieilles Halles de marché bien sûr, celles où les vendeurs sont aussi les producteurs. Sur Internet, des sites comme www.goodeggs.com vont aussi dans le même sens : une marketplace géante qui met directement en relation le producteur et le consommateur.

Plus d’information sur le site internet : http://www.epiceriegenerale.fr

Crédits photo : Stéphane Lavoué